Dégustation à l’aveugle

les dégustations à l’aveugle sont-elles fiables ?

Guirec Gombert

Un chercheur américain s’est penché sur la façon dont les goûteurs attribuent des notes au vin. Le résultat est pour le moins étonnant, relate «Der Spiegel».

«Pourquoi un vin gagne une médaille d’or lors d’une compétition et ne reçoit aucune récompense à une autre ?» La réponse apportée à cette question toute bête, posée par le chercheur américain Robert Hodgson, a bouleversé récemment le petit monde du vin, explique le quotidien allemand «Der Spiegel». Durant quatre ans, de 2005 à 2008, le chercheur a en effet tenté de comprendre comment les professionnels notaient les vins. Pour ce faire, lors de la California State fair, le plus vieux concours de vins d’Amérique du nord, il a introduit trois fois le même vin lors de la journée de dégustation à l’aveugle. Résultat, sur les 65 à 70 professionnels (vignerons, négociants, critiques, professeurs d’œnologie et de viticulture) que compte ce concours, seulement 10% des juges ont donné une note similaire à ce vin. Pire, 10% des plus mauvais juges ont carrément jugé médiocre ce vin auquel ils avaient attribué une médaille d’or plus tôt dans la journée. La réaction des organisateurs du concours ne s’est pas faite attendre : les mauvais goûteurs seront éconduits, les meilleurs verront leurs papilles préservées : ils ne goûteront plus que 75 vins par jour, contre 150 jusqu’à présent. Pour la décharge des plus mauvais, il y a deux ans lors du même concours, des jurés avaient couronné un vin industriel, vendu 2 dollars par l’enseigne Trader’s Joe, l’équivalent de Leader Price, comme le meilleur chardonnay de Californie.

 

Le goût du vin se forme dans nos têtes

 

D’autres expériences similaires ont déjà prouvé la faillibilité des dégustations. En 2005, les chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ont mis en évidence que le goût du vin était largement influencé par le contexte, la représentation que s’en fait le dégustateur et ses propres qualités sensorielles. Pour leur étude, les chercheurs ont mis à contribution 57 étudiants en œnologie. Ces derniers ont goûté à quinze jours d’intervalle le même vin dans deux conditionnements différents. Le premier est une bouteille d’un grand cru classé, «connu de tous les dégustateurs», expliquent les chercheurs. Le second conditionnement est une bouteille étiquetée sous l’appellation «vin de table». Six étudiants ont découvert la supercherie, les 51 autres ont donné une moyenne de 8/20 au «vin de table» contre 13,2/20 pour le «grand cru». Mieux, les étudiants ont cru découvrir un goût boisé au vin présenté dans une grande bouteille, alors que ce vin n’a jamais été en contact du bois. Pour les scientifiques de l’INRA, ce résultat est «typique d’une construction cognitive.»

Pour appuyer leur recherche, ils ont soumis 54 autres étudiants à un nouveau test. Cette fois, il s’agissait de leur faire goûter un vin blanc et un vin rouge. En fait, le vin rouge était le même vin blanc coloré en rouge grâce à des colorants naturels n’altérant pas le goût du vin. Lorsqu’ils ont décrit les vins, les étudiants ont immanquablement employé le langage habituel décrivant le vin rouge (fruits rouges, cassis, framboise, cerise, etc.) et celui utilisé pour le vin blanc (miel, abricot, pomme, banane, etc.). «Il suffit donc de modifier la couleur d’un vin pour en modifier la perception des arômes », expliquent les chercheurs. Le goût du vin est en d’autres termes une «construction de notre cerveau».

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